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Une histoire complètement neu-noeud

CHRONIQUE DE « Doc Carbur » N° 5


Vous qui faites de superbes entrelacs sur vos nouilles tous les dimanches, vous pensez tout savoir sur les noeuds. Oh bien sûr, vous maîtrisez à la perfection le noeud de 8 et celui de 9, le noeud de vire, les oreilles de « Mickey », le noeud de chaise simple et double ainsi que le noeud amortisseur et le « 8 tricoté », ajoutez-y le noeud de « pêcheur double » et vous serez parés pour aller équiper le grand aven du Mont Marcou (Si vous voulez prendre un cours de noeuds de spéléo : VOIR ICI). Oui mais voilà, savoir faire quelques noeuds cache toute l'étendue de notre ignorance sur ces compagnons de toutes les sorties. Voyons un peu leurs secrets.


Sac de noeuds ?

1. Origine et noeuds familiers.

L'origine des noeuds se perd, non pas dans la nuit des temps, mais dans la profondeur de la mémoire collective et dans l'absence, hélas irrémédiable, de vestiges archéologiques anciens. Au néolithique le tissage, qui nécessite croisements et nouages de fils, est déjà bien maîtrisé mais il n'en reste que peu de chose. Plus avant dans le passé il n'y a plus trace des techniques qui permettaient de lier par exemple, une lame de silex à son manche que ce soit avec des boyaux, des nerfs animaux ou des fibres végétales : et pourtant elles tenaient ! La décomposition de toutes ces ligatures organiques ne permettra sans doute jamais de connaître avec précision l'âge des premiers noeuds. Quoi qu'il en soit, le noeud a plusieurs centaines de milliers d'années.
À l'époque contemporaine, les marins se sont emparés de cette technique pour l'adapter à la nécessité de la marine à voile. C'est ainsi que plusieurs milliers de noeuds ont pu être décrits par Clifford W. Ashley : quoi de plus normal quand on sait qu'au XIXeme siècle certains navires avaient à leur bord près de 50 kilomètres de cordages !
Présents sur les décors entrelacés des stèle funéraires Celtes ou les enluminures des bibles du Moyen-Âge, les noeuds furent aussi développés comme jeu par les Esquimaux et les Indiens d'Amérique, puis continuant leur petit bonhomme de chemin dans l'industrie textile, il s'appliquèrent dans des domaines aussi divers que la magie, l'alpinisme ou la chirurgie. Enfin, leur étude mathématique permet actuellement de faire le lien (c'est le cas de le dire) avec la physique, la chimie et même la biologie moléculaire. Quel beau parcours !

2. Noeud réel et noeud mathématique.

Vous connaissez tous des tas de noeuds concrets. On pourrait définir un noeud comme un croisement, au minimum double, d'un lien souple quelconque. Quelques conventions classiques permettent de les dessiner de façon compréhensible, du moins c'est que l'on essaye de faire dans les exposés techniques sur les noeuds de spéléo. Avec un peu d'entraînement les moins doués d'entre nous arrivent tant bien que mal à les reproduire. Alors un noeud mathématique c'est comment ? Facile : vous prenez un noeud normal, vous imaginez que vous soudez les deux extrémités libres et vous obtenez un noeud mathématique (figure 1). En fait un noeud mathématique est une boucle nouée alors qu'un lien non noué devient une boucle simple appelée « noeud trivial » ou « non-noeud ». (figure 2).

Fig 1

Fig 2

Alors quel est l'intérêt qu'un matheux peut bien trouver à une boucle ? Tout est justement dans la présence ou l'absence de noeud : en clair « ce noeud est-il noué ou pas ? ». Cela vous paraît peut-être idiot, mais si vous êtes pêcheur vous allez comprendre : n'avez-vous jamais fait par étourderie une superbe « perruque » avec le fil du moulinet ? Dans cet amas de fil il ne peut pas y avoir de noeud totalement indénouable puisque l'autre bout du crin pend encore au bout de votre canne à lancer avec l'appât ou la cuillère. Et pourtant combien de fois avez-vous été obligé de couper le fil parce qu'essayer de démêler l'écheveau vous semblait relever au minimum de la crise de nerfs... En fait, il devait s'agir d'un « noeud trivial » : d'une boucle bien entrelacée mais pas nouée pour autant (figure 3).

Autre exemple : essayez de reproduire le noeud de la figure 4 (suivez bien le schéma), puis tirez sur ses extrémités ; déduisez vous-même la conclusion qui s'impose.

Fig 3

Fig 4.

Une autre des particularités des noeuds c'est d'être des objets qui, vus sous des angles différents, peuvent se ressembler alors qu'ils ne sont pas identiques. Au contraire un même noeud peut avoir des aspects bien différents suivant la position dans laquelle on le regarde. Certains noeuds peuvent en se desserrant un peu et en repositionnant les brins (sans les dénouer) prendre une nouvelle forme : s'agit-il du même noeud ou d'un noeud différent ? Et ce n'est pas tout, prenez un noeud de 8 et placez-vous devant un miroir : le noeud que vous apercevez est-il identique et se nouerait-il de la même façon que l'original ? Voilà une partie des questions qui monopolisent des dizaines de cerveaux de part le monde depuis près d'un siècle dans les labos et les facultés et qui pourraient se résumer à ceci : " comment être certain que deux noeuds sont différents ? ".


3. Description et classement mathématique des noeuds.


Pour répondre aux questions qui précèdent, il fallait pouvoir décrire les noeuds, et ensuite trouver certaines caractéristiques essentielles des noeuds permettant de faire la différence entre eux et donc de les classer sans risque de confusion. Ces caractéristiques, qui doivent rester inchangées au cours de la déformation du noeud s'appellent les invariants du noeud.

3.1. Par l'arithmétique.

Qui dit arithmétique, dit nombres et calculs. Passer d'un noeud sur un bout de nouille à une opération, même aussi simple que l'addition ne paraît pas évident et pourtant c'est ce qui a été fait. Il suffit par exemple d'associer chaque noeud au nombre minimum de croisements visibles et voilà qu'on peut se mettre à trier puis à calculer avec les noeuds. Pour les additionner par exemple c'est très simple, vous prenez un ficelle et vous faites un noeud de huit puis vous y ajoutez un noeud plat, vous les rapprochez, les serrez bien et vous obtenez le noeud qui est la somme des deux précédents. On pourra également les soustraire, les multiplier et même les diviser. Des mathématiciens ont ainsi découvert de noeuds premiers qui comme les nombres du même nom ne peuvent être divisés que par eux-mêmes ou par l'unité (qui est le noeud trivial ou boucle en cf figure 2.) !

3.2. Par l'algèbre

Quand on pense à l'algèbre, on imagine des formules remplies de x et de y (voire de z) plus ou moins ésotériques suivant les capacités mathématiques de chacun. Il fallait en passer par là pour être certain de pouvoir faire la différence entre deux noeuds ou savoir s'ils sont identiques car la simple description ne suffit plus dès que le noeud se complique. Leur travail consistait, bien souvent en partant de la forme d'un noeud (donc de la géométrie) à trouver une formule (voir 3.3) qui " fonctionnerait " pour tous les noeuds mais, bien qu'un noeud soit quelque chose de très concret, la tâche fut assez difficile puisque des tas de chercheurs s'y sont cassé le nez.

3.3. Les invariants d'un noeud

Voilà donc le nom donné à ces " formules mathématiques " (ou polynômes) censés décrire les noeuds sans équivoque possible. Des Américains et des Russes ont eu moins de succès pour trouver la formule magique qu'ils en avaient eu dans la conquête de l'espace.
Expliquons-nous : si la formule donnait deux résultats différents, alors les deux noeuds qui en découlent étaient différents, si la formule donnait deux résultats identiques alors les noeuds étaient les mêmes. Tout semble aller pour le mieux mais là où ça coince, c'est qu'en général il y a toujours deux noeuds, de toute évidence différents, dont les résultats calculés sont identiques. En gros, des tas d'invariants ne fonctionnent à la perfection que dans un seul sens !
Récemment Victor Vassiliev, un mathématicien russe, à trouvé une nouvelle formule qui est peut-être celle recherchée depuis si longtemps, l'ennui c'est qu'elle est tellement " simple " que ses confrères ne sont pas sûr qu'elle soit complète tout en ne pouvant d'ailleurs pas démontrer le contraire. Ah ces matheux ! ! !

4. Prolongements de l'étude des noeuds.


«  - C'est bien beau tout ça, mais ça sert à quoi ? » demanderait à juste titre notre ami Carbur . Effectivement, on est en droit de se poser la question de l'utilité pratique de toutes ces contorsions intellectuelles. Ce serait bien qu'en partant d'un noeud sur une corde spéléo et après être passé par les mathématiques, on revienne à quelque chose de pratique. Vous le croirez ou non, mais, même si avec ça on n'a pas inventé le beurre à couper le fil, il n'est pas dit que ce sera totalement inutile.

4.1. En physique.

Plusieurs phénomènes physiques observables peuvent s'expliquer clairement (ou s'expliquent mieux) grâce à l'apport de la théorie des noeuds par exemple : le mouvement de sphères microscopiques de plastique plongées dans un liquide conducteur et placé dans un champ magnétique tournant. Bon évidemment ce n'est pas encore avec ça que l'on va faire cuire le steak, mais c'est déjà quelque chose de concret. Une autre application concerne, en astrophysique, l'étude des lignes de force du champ magnétique du soleil. Enfin on pourrait pousser l'analogie jusqu'à vous présenter la « théorie des cordes » qui tente d'expliquer la structure intime de l'Univers et de la matière (voir bibliographie ci-dessous) et dire que nous, avec des noeuds sur des cordes, on va tout simplement se mettre à l'ombre sous terre !

4.2. En biologie et chimie.

C'est certainement dans ce domaine que les applications de la théorie des noeuds s'approchent le plus de notre réalité. Deux exemples :

I. Les chimistes créent en laboratoire des molécules nouées dont les propriétés particulières leur permettent de modifier leur forme ou même de se déplacer en fonction de facteurs électriques, chimiques ou lumineux décidés par celui qui dirige l'expérience. Ces nouvelles molécules ressemblent parfois à celles qui, dans la nature, furent à l'origine de la vie ; d'autres permettent d'imaginer des mémoires d'ordinateurs moléculaires et non plus électroniques.

II. Enfin, dans l'étude du vivant, c'est en biologie moléculaire et plus précisément dans l'étude de la réplication de l'ADN cellulaire qu'on retrouve des sacs de noeuds. L'ADN est en effet plus ou moins enroulé sur lui-même et au cours de sa réplication se forment des noeuds qui sont limités et contrôlés par des protéines appelées « topoisomérases ». Mieux connaître ces protéines et leurs petits jeux avec l'ADN, ouvre des perspectives vers la lutte contre les maladies génétiques, les virus et bactéries ou le cancer.

5. Bibliographie.

  • W. ASHLEY, « Le Grand livre des Noeuds ». Gallimard, 1979
  • M. GARDNER, « Le paradoxe du pendu ». Dunod, 1971
  • P. CARTIER, « Développements récents sur les groupes de tresses, applications à la topologie et à l'algèbre ». Séminaire Bourbaki, exposé 716, 1989
  • P. DEHORNOY, Laboratoire de mathématiques de l'université de Caen. Internet : http://www.math.unicaen.fr/
  • I. STEWART, « Le polynôme de Jones. In « Pour la science », N° 146, page 94, 1989
  • C. MERCAT, « Théorie des noeuds et enluminures Celtes. In « l'Ouvert », N° 84, 1996
  • Collectif, « La science des noeuds », Dossier Hors Série « Pour la science », 1997
  • G. VENEZIANO, « Gravitation, relativité, mécanique quantique : la grande synthèse est-elle proche ? », R. Laffont, 2005
  • L. SMOLIN, « Rien ne va plus en physique ! », Dunod, 2007

6. Sites webs

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