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Le blog du Niphargus déchaîné

SOLITAIRE


Ce n'est pas un jour ordinaire, partout les éléments se sont déchaînés avec la même passion. À l'extérieur, c'est la tempête, une belle tempête du sud-est comme notre Méditerranée sait nous en concocter de temps en temps. Les rafales furieuses fouettent les façades ruisselantes des immeubles. L'eau tombe drue et presque à l'horizontale. Quand lassé, le vent faiblit un peu, le déluge redouble de plus belle et semble vouloir noyer la ville entière.

Dans ma tête aussi c'est l'orage ; ça y est, dans quelques minutes je ne pourrai plus tenir : il faudra que je sorte. Pluie ou pas, descendre sous terre maintenant devient vital ! Bien entendu je suis tout seul, qui d'autre oserait mettre le nez dehors avec le temps qu'il fait ? Ce n'est même pas la peine de demander aux copains ou de téléphoner. Tant pis, mon matériel est toujours prêt, un ou deux sacs poubelles pour poser sur les sièges de la voiture, la combi directement sur le dos pour ne pas avoir à se changer au bord du trou et un bob pour mettre sous le casque car ça va être le déluge dans le puits.

Le trajet vite avalé dans le ronronnement monotone des essuie-glaces est déjà oublié. Dès que la portière s'ouvre c'est une délicieuse impression sauvage qui m'envahit, je me sens comme sur un bateau à la dérive au milieu de l'océan. Pour l'instant d'ailleurs, l'océan est en train de me tomber sur la tête. Cet aven je le connais bien, mais cet après midi j'ai l'impression de le découvrir pour la première fois : pas de cliquetis de quincaillerie, pas de plaisanteries et de rires qui fusent; uniquement le vent qui hurle dans les chênes verts et le bruit inlassable de centaines de petits ruisselets d'eau qui s'écoulent vers l'abîme.

Bien sûr je l'ai équipé maintes fois, mais je sais que cet après-midi je ne peux pas me permettre la moindre erreur et du coup mes gestes se font plus précis, plus méticuleux. L'eau me dégouline dans les yeux et dans le cou, c'est dantesque...

J'enjambe la margelle calcaire, ça y est je suis parti. Quel spectacle! D'un ciel gris plombé tâché de noir où se poursuivent les masses brumeuses en folie, tombent d'innombrables cordelettes argentées qui rebondissent de toutes parts. Je suis sous la pomme d'un immense arrosoir, en train de m'enfoncer seul dans le calcaire comme le font ces milliers de litres d'eau. Trop vite mes pieds ont heurté le sol dans une flaque de circonstance. Je me décroche et commence à progresser dans la cavité mais rapidement j'y retrouve l'atmosphère habituelle, calme et fraîche, du sous-sol. Ce n'est pas cela que je cherche aujourd'hui, je retourne donc à la verticale de l'entrée, place les bloqueurs et effectue une première remontée.

L'adrénaline coule dans mes veines comme l'ondée sur les ressauts rocheux : j'ai besoin de manger de la nouille, ici, dans les embruns. Alors à peine arrivé sur la lèvre du puits, sans prendre la peine de me hisser au sol, j'effectue un changement de sens en plaçant mon descendeur au dessous de moi et en me décrochant en appui sur la poignée. Je replonge aussitôt dans le vide. Pas de danger que le matériel chauffe aujourd'hui alors je m'en donne à coeur joie. La corde file à toute vitesse et, écrasée au passage des poulies fixes, rejette un mince filet d'eau qui me gicle au visage. Je vais recommencer le ballet deux fois, trois fois, quatre fois, l'esprit vide juste pour le plaisir.
 
Tout à coup ma combinaison détrempée se met à peser une tonne, mes brassées se font plus lentes. Il pleut toujours autant et l'eau, pour la première fois, me semble froide et envahissante. Je reprends conscience comme après un rêve : le charme est rompu. Il ne me reste qu'à déséquiper les fractionnements, retrouver mon bardas qui m'attend sous son sac poubelle, brasser la corde et rejoindre la voiture.

En pataugeant face au vent, courbé sous mon gros tas de matos spongieux qui mettra certainement plusieurs jours à sécher, je retrouve la sérénité. Ni excitation ni fatigue, juste le bien être total qui suit les instants rares. Qu'on est loin dans ces moments précieux des problèmes quotidiens... 

Erdé


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