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Pages de poésie souterraine

Prose et vers de (sous) terre

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À Marie-José

Dans la grotte du Mas d’Azil

J’ai rêvé d’un voyage au centre de la Terre
Jusqu’aux tréfonds de l’ante-cambrien
Où des mers enfouies sous des arches austères
Retentiraient des combats de sauriens

Mais il est là ton rêve à portée d’une marche
Par les forêts que hantent les moustiques
Droit au lac de Filhet et jusqu’à la grande arche
D’où les cinglés sautent à l’élastique

Tel une hydre embusquée le Plantaurel a pris
Le Mas d’Azil dans ses plis en otage
Et dore ses vieux os sous un ciel de Capri
Non sans garder la caverne en partage

C’est un rocher karstique à donner le vertige
Creusé d’un trou qu’on aurait dit l’enfer
N’eussent les sieurs d’Albret jaloux de leur prestige
Mis leurs armes sur ses portes de fer

L’obstacle étant sévère on passait par les hauts
Avant qu’on ne fît le tunnel hors-normes
Les chariots transbordaient aux clameurs des ho-ho
Sur l’escarpement leurs fardeaux énormes

Combien les ouvriers ont brouetté de terre
Coiffés du béret ou de la casquette
Pour étayer le gouffre et purger son mystère
A coup de pics de pelles et de piquette

L’antre obscur boit l’Arize et dévore la route
Dans l’impavidité des blanches crêtes
Que de morts oubliés sont pétris dans sa croûte
Et que d’amours il a tenues secrètes

L’homme s’y est terré quarante millénaires
Né de l’étreinte de l’ombre et des eaux
Sculptant pour dérider les chasseurs débonnaires
Les propulseurs au faon et aux oiseaux

J’ai découvert le site avec les Mandement
Tout jeune avant que leur retraite approche
Et rampé dans la boue à leur commandement
Pour voir la chasse aux bisons sur la roche

L’Arize un soir de crue nous légua l’écriture
Des galets bleus aux signes rubescents
Qu’ont peint des paysans au milieu des fritures
Pour témoigner des âges vieillissants
Leurs rébus effacés perdrons-nous nos ancêtres
Qui plus que nous aimèrent ces falaises
Et que restera-t-il de nous qui trop sûrs d’être
N’avons laissé que nos pas sur la glaise

J’avais on m’a brisé l’huître mystérieuse
Coquille irisée de nacre fossile
Qu’entre la voie romaine et les bosquets d’yeuses
M’avait laissée l’océan des nautiles

Il tombe sous le porche un faux-jour plus livide
Qu’était l’antre de la Sibylle à Cumes
Un lierre pend tout noir du dôme dans le vide
Et l’Arize entravée bave d’écumes

Dans cette sape en S où les destins se broient
Le gave lutte avec l’ombre tenace
Tantôt pour la pousser à l’ultime paroi
Mais tantôt captif gémir en sa nasse

Ce fut le château fort de nos héros d’en-bas
Qui défendaient leur foi et leurs chaumières
En livrant aux rentiers du sol le bon combat
Pour qu’à la nuit succédât la lumière

L’an seize-cent-vingt-cinq soutint le siège horrible
Des cruels régiments du roi Louis
Qui tonnaient au canon sur les fous de la Bible
Puis lys fanés se sont évanouis

La rotonde attroupa les cultes protestants
Que présidaient les pasteurs du Désert
Venus avec un peuple aux falots tremblotants
Prier Dieu qu’il mît fin à leurs revers

D’ordre du roi on fit sauter le sanctuaire
D’un coup de mine entendu à trois lieues
Démolir les remparts remplir les mortuaires
Afin que l’ordre régnât en ces lieux

Ce qu’il filtre de jour recrée de grandes ombres
Où l’on reconnaissait le cardinal
Avant qu’on ne jetât son bec d’aigle aux décombres
Et l’éteignît comme on mouche un fanal

Sous la falaise nord aux tours jadis détruites
L’eau resurgit dans le bief des moulins
Mes oncles et mon père y prenaient force truites
Qu’ils vendaient au Mas pour des fifrelins

Bruissant le café de la grotte flanquait
La maison louée par mes grands-parents
Les buveurs d’anisette et d’absinthe y moquaient
En patois d’oc les flâneurs pérorants

Quand vint la guerre brune on ne vit plus grand monde
Mais passions-nous l’antre vers Maury
Cent corneilles prenaient leur vol de trous immondes
Aux cris geignards d’un memento mori

On conçut d’y monter les moteurs Dewoitine
Pour les protéger des bombardements
L’idée de transformer la caverne en usine
N’a pas plus tenu que les Allemands

La voûte résonnait au trot des carrioles
Qui nous emportaient à tambours battants
Nos feux de croisement semblent des lucioles
Ecloses soudain dans la nuit des temps

Le gouffre s’est changé en haut-lieu touristique
Où l’on court de Foix et cités voisines
Voir au musée Grévin du Paléolithique
Renaître les Cro-Magnon de résines

Au lieu du vieux café travaille un céramiste
En fait deux potières policées
Tournant lustrant cuisant pour la joie du touriste
Jarres et pots aux pauses vernissées

Un maître-verrier blond a garni de ses fours
La halle aux filtres d’épuration
Où de sa canne ardente il souffle au goût du jour
Les pommes d’or de la tentation

Du renfoncement part l’escalier des visites
Pour six euros veuillez suivre le guide
Qui en une heure vous commentera le site
Peuplé de crânes d’ours à l’œil languide

La reine de la nuit est une jeune fille
Morte peut-être avant ses dix-sept ans
Dont le chef exhumé consacre d’une esquille
La race niée des Vascons d’antan

Le contre-jour émeut l’antique ébrasement
Que l’Arize soit basse ou qu’elle gronde
De la magie du rêve et des enchantements
Où les chauves-souris dansent leur ronde.

Michel Bégon
août 2004

La vie antérieure

J’ai longtemps habité sous de vasques portiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux
Et que leurs grands piliers, droits et majestueux
Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.

Les houles en roulant les images des cieux,
Mêlaient d’une façon solennelle et mystique
Les tout-puissants accords de leur riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.

C’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes
Au mileu de l’azur, des vagues, des splendeurs
Et des esclaves nus, tout imprégnés d’odeurs

Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes
Et dont l’unique soin était d’approfondir
Le secret douloureux qui me faisait languir.

Charles Baudelaire
La vie antérieure

 

Les Cro-Magnon

L'un derrière l'autre nous marchons.
A la recherche des bisons,
Nous lancerons les pierres qui tuent
Pour nourrir toute la tribu.

On nous appelle préhistorique,
Mais nous inventons la musique,
Et dans nos grottes vénérées,
Naissent les premiers artistes et l'humanité.

Dans cent, dans mille, dans dix mille ans,
Dans le regard d'un enfant savant,
Nos animaux reprendront vie.

Et de nouveaux dans nos esprits,
Mammouths et bisons danseront,
Grâce aux hommes de Cro-Magnon.


Christian Lamblin

 

El desdichado

Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l'Inconsolé,
Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Etoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s'allie.

Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J'ai rêvé dans la Grotte où nage la sirène...

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

Gérard de Nerval

Héloïse peut-être erra sur ce rivage,
Quand, aux yeux des jaloux dérobant son séjour,
Dans les murs du Pallet elle vint mettre au jour
Un fils, cher et malheureux gage
De ses plaisirs furtifs et de son tendre amour.
Peut-être en ce réduit sauvage,
Seule, plus d’une fois, elle vint soupirer,
Et goûter librement la douceur de pleurer ;
Peut-être, sur ce roc assise
Elle rêvait à son malheur.
J’y veux rêver aussi ; j’y veux remplir mon cœur
Du doux souvenir d’Héloïse.

Antoine Pécot
Poème écrit sur un rocher d'une grotte des bords de la Sèvre


Il existe sous terre, autant que sur les cimes,
Des lieux d'évasion, de paix, de majesté,
Où l'homme comprenant la leçon des abîmes
Abdique tout prestige et toute vanité.

Ce sont les "noirs séjours": le gouffre et la caverne
Où bouillonnaient, jadis, d'impétueux torrents;
Des lieux où rien ne bouge, où la grandeur vous cerne,
Où la pierre est cantique, hymnes exubérants.

C'est l'empire du beau, le règne de l'étrange.
C'est la sylve d'argent, la forêt sans oiseaux.
Et c'est la cathédrale où, sous des voiles d'ange,
Vous guettent des griffons sur de hauts piédestaux.

Ce sont les autels morts, sans victime et sans prêtre,
Des lustres sans lumière et des cierges éteints
Qui semblent implorer de l'Invisible Maître
Qu'Il ranime leur flamme à ses rayons divins.

Ce sont aussi des djinns, des gorgones, des goules,
Affrontés, grimaçant sous les pâles flambeaux,
Des moines solennels, drapés de blanches coules,
Orants muets d'un temple aux piliers colossaux.

Ce sont des fleurs de rêve, aux précieux pétales,
Parsemant des tombeaux sans dépouille et sans nom,
Des rivières de jade, aux ténébreux dédales,
Où l'on croit entrevoir la barque de Caron.

Et ce sont des clochers, des fontaines, des vasques,
Des lacs silencieux au mystère troublant,
Des palais de cristal où des formes fantasques
Semblent des dieux taillés par un sculpteur dément.

Parfois le regard plonge en des gueules obscures
D'où monte, en l'air glacé, le bruit de l'eau qui court.
Parfois le roc s'entr'ouvre en de larges blessures
D'où sort, à flots figés, un sang laiteux et lourd.

Ailleurs, autour de vous, la torche au poing brandie
Enfante des géants, des gnomes, des magots
Et, sur les champs pierreux d'une morne Arcadie,
De fabuleux pasteurs, d'hallucinants troupeaux.

Enfin, ce sont encor - vestiges de nos pères -
Des fresques, des outils, de jaunes ossements.
L'homme, autrefois, vécut en ces logis sommaires
Dont le sol a gardé des pas de vingt mille ans (...)

Ralph Parrot
Extrait de "Ombre et silence"

Au fond de la caverne

Au fond de la caverne il y a ce feu qui éclaire plus que la nuit
Les yeux ouverts dans l’ombre danse un ours endormi
L’homme nu remue les mots qui brûlent
Un vautour plonge au delà des rives du lac vert
La lumière sort du feu blotti contre la pierre calcaire
L’histoire réchauffe les bruyères aux tisons rouges de cette nuit noire qui ne finit pas.

Pierre-Alain Richer

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