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Quelques éléments de Biospéologie CHRONIQUE DE « Doc Carbur » N° 12 |
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La totalité des animaux cavernicoles sont issus de lignées animales épigées dont ils ont divergé lentement. La majorité des cavernicoles aquatiques d'eau douce provient étrangement de formes marines. Mais essaayons la dernière nouveauté de Doc Carbur : "La machine à remonter le temps" ! Grimpons sur le siège et enfonçons le bouton correspondant à l'ère tertiaire. Nous venons de faire un bon en arrière de quelque 50 millions d'années. La position de notre région (Languedoc Roussillon) se trouve plusieurs centaines de kilomètres plus au sud qu'aujourd'hui, et l'océan Atlantique, à l'ouest, est ridiculement étroit. Un énorme massif montagneux émerge vers le sud et s'étend progressivement de la péninsule ibérique jusqu'à l'actuelle Italie. Mais ni la Corse, ni la Sardaigne ne sont encore en place, tout juste commence-t-on à les deviner à l'ouest. Les calcaires jurassiques et crétacés, comprimés par cette poussée du sud-ouest vers le nord-est, se plissent et se fracturent et avec ces fentes commence le lent processus de karstification. Il faut dire que le climat est plutôt chaud et humide, on se croirait sous l'équateur. Les précipitations sont fortes et la végétation luxuriante : une vaste forêt recouvre les régions de moyenne altitude, leur sol est fait d'une épaisse couche d'humus, fraîche, humide et obscure où grouillent nos futurs cavernicoles; dans les zones moins touffues, les petits ancêtres des chevaux broutent près d'animaux ressemblant à des tapirs : les lophodions, castors et ratons laveurs s'ébattent tout près. Dans les lacs parmi les poissons, on retrouve des limnées, des crocodiles et des tortues, et la mer chaude est peuplée d'énormes huîtres, d'oursins et de requins.
Nous sommes au Pleistocène (-1,65 Ma), venu d'Afrique où il a commencé son développement depuis environ 10 Ma l'homme, dernier né des primates, est arrivé en Europe. En quelques millénaires, le climat est devenu très instable : trois longues périodes glaciaires vont alterner avec d'autres plus clémentes mais sèches. Les calottes polaires s'étendent, les glaciers alpins et pyrénéens avancent et le niveau général des mers baisse de plus de 100 mètres. Les calcaires sont toujours plus érodés car ils sont extrêmement sensibles à la gélifraction qui les brise et élargit les diaclases. Sous la croûte de glace qui recouvre tout le nord de l'Europe, les formes animales, issues du climat tropical de l'ère tertiaire et de la fin du secondaire, sont irrémédiablement et définitivement éliminées. Dans nos régions à l'écart des glaces polaires, la forêt a été remplacée par une steppe herbeuse parsemée de pins sylvestres souvent balayée par des vents froids et violents. Les petites bébêtes frileuses n'ont aucune chance de survie à l'extérieur, seules les espèces nivicoles résistent dans les moraines au front des glaciers. Certaines espèces ont certainement migré profitant de l'assèchement du détroit de Gibraltar. Celles qui ont réussi à s'enfouir et à survivre profitent d'un espace souterrain que la karstification en plein essor ne cesse d'étendre. Rien ne viendra plus les déranger dans leur retraite silencieuse jusqu'à l'intrusion des hommes , Homo erectus d'abord, Néandertaliens, Cro-magnon et " homo speleus " pour finir.
Manger, se reproduire, mourir… Quelle vie ! Heureusement comme nous l'avons vu au 2.1), la nourriture ne manque généralement pas. Une partie provient de l'extérieur apportée par l'eau ou l'air : elle est composée de détritus et de débris divers de végétaux ou d'animaux. Une autre source importante de nourriture se situe dans les cavités elles-mêmes au sein d'une chaîne alimentaire complexe. Celle-ci pourrait se résumer ainsi : BACTÉRIES du sol -> PROTISTES bactériophages (qui se nourrissent de bactéries) -> ANIMAUX se nourrissant du contenu organique du limon et d'argile (Oligochètes, Nématodes, Mollusques, larves de Protée, jeunes Niphargus) -> CARNIVORES vrais qui consomment d'autres troglobies, ainsi que des troglophiles et des trogloxènes. Entre deux repas, la vie des troglobies semble se dérouler au ralenti, par rapport aux formes voisines épigées. Des expériences ont démontré que c'est une caractéristique constante de la physiologie des troglobies : ils respirent lentement, consomment peu d'oxygène, pondent des œufs plus gros mais moins nombreux. Les larves de Coléoptères muent moins souvent et restent peu à l'air libre avant de s'isoler dans l'argile de longs mois. Certaines ne se nourrissent même pas avant de se transformer en adultes. Par contre les Myriapodes passent, eux, par un nombre de stades larvaires plus élevés. Quoi qu'il en soit, dans tous les cas, l'allongement de la durée du stade larvaire aboutira à une longévité totale larve / adulte plus grande que celle des espèces vivant à l'extérieur. Doc Carbur aurait bien aimé, lui aussi, vivre plus longtemps que la moyenne puisqu'il est toujours fourré sous terre : hélas c'est plus qu'improbable…
Je ne résiste pas a vous citer A. VANDEL qui a très bien exprimé la difficulté d'interpréter l'évolution des cavernicoles en écrivant : "l'idée d'adaptation est devenue à un tel point obsédante que l'on a pu écrire que la dépigmentation et l'anophtalmie représentaient des adaptations à la vie cavernicole. Autant dire que le catarrhe, les rhumatismes et la presbytie sont des adaptations à la vieillesse." Est-ce à dire que notre Doc Carbur est fâché avec Darwin et a rejoint le clan des fêlés du créationnisme ? Que nenni, loin de nous l'idée de nier le rôle de l'évolution Darwinienne dans l'apparition des caractères spécifiques aux troglobies, mais il faut bien en saisir la signification. Certes, dans les grottes, il y peut y avoir concurrence pour la nourriture, mais l'évolution est généralement la conséquence d'une pression sélective du milieu. Ici, comme on l'a vu, les conditions atmosphériques sont stables, les gros prédateurs inexistants, la densité de population faible. Ce milieu pardonne donc beaucoup " d'erreurs " et des tas de dégénérescences, qui à l'extérieur seraient fatales, peuvent persister. Des caractères morphologiques encore instables chez certaines espèces, mais soutenus par les conditions du milieu extérieur, vont par exemple disparaître. L'absence d'une réelle adaptation au milieu souterrain ne signifie donc pas qu'il n'y a pas d'évolution. Cette évolution dite "régressive" ressemble plutôt à un cul de sac évolutif, aux causes multiples : préadaptation épigée suivie de l'isolement dans un milieu peu sélectif depuis de nombreuses générations : cette conception est appelée ORGANICISME (A. VANDEL 1964).
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